Matin tôt Nuit tard
Une collaboration de Juliette Allemand (à la plume) et Paoline Prioult (au crayon)
Samy
Sarah
Eli
Réveil
Samy
Sarah
Eli
C'est tôt.

J’ai pas révisé les maths. Imane veut savoir si je suis prêt. J’ai français à 8 heures, je vais réviser en français, je serai prêt. Elle me demande si c’est une blague, puis elle m’explique pourquoi je vais rater ma vie. Après, elle se calme. Faut pas que je m’inquiète, on ne rate pas sa vie à cause d’un contrôle de maths. Mais ça peut commencer par ça. Elle trempe ses tartines dans mon bol de céréales, ça me dégoûte mais elle s’en fout. Elle veut voir mon cahier. Je lui dis que j’utilise le cahier d’Eli pour réviser. Elle me rappelle que les maths c’est au brevet. Je sais, elle sait que je sais. Elle continue avec ses tartines, je lui dis d’arrêter, elle continue. Elle me demande ce qu’elle pourrait me dire pour que je m’inquiète plus mais pas trop. Je lui dis que je suis inquiet, qu’elle doit se calmer pour de vrai, je suis hyper inquiet, l’avenir c’est sérieux, la musique c’est pas un avenir donc je vais réviser les maths dans le bus puis en français, et j’aurai 10 voire 12 ou 15. Ok. Elle me demande comment ça va - à part ça. Elle me demande comment vont Sarah et Eli. Je raconte vite fait que tout le monde va bien. Imane travaille ce soir. Elle va finir tard, elle ne se lèvera pas demain matin donc on se retrouvera que demain après-midi. Demain, Sarah et Eli vont venir travailler à l’appartement pour l’exposé de français. Imane est contente.
Je sors de table, je me lave les dents et j’attrape mon sac. J’attends que Sarah et Eli arrivent à l’arrêt de bus pour descendre. Imane me demande de ranger la table du petit-déjeuner avant de partir, elle va aller prendre sa douche. Avant de s’éclipser, elle me reparle du contrôle de maths, elle a pas le temps d’aller rencontrer le prof de maths donc il faut que je fasse le minimum. Elle m’embrasse, elle me dit que ça va aller. Je range les céréales, je lave mon bol. Il fait encore nuit. Sarah et Eli sont en bas. Faut y aller. La journée parfaite, serait : retourner au lit, me réveiller dans un monde où Fadia m’aime encore, faire de la musique et surtout ne pas devoir penser à mon avenir. Dehors, c’est novembre. Cette journée est déjà trop longue.
C'est tôt.

C’est à cause d’Eva. Elles sont encore en train de se prendre la tête ce matin mais le problème c’est juste Eva. Elle a plus envie de jouer. Je leur dis tout le temps qu’Eva maintenant elle s’en fout du foot. Elle est amoureuse. Elle est avec Chakib et le foot c’est fini. Elle veut être avec Chakib tout le temps. Elle joue bien que s’il vient la voir jouer. Il vient pas le lundi donc Eva joue mal le lundi. Si elle est dans ton équipe pour le match du lundi, tu galères, faut défendre au centre si t’es à l’aile parce qu’au centre y’a plus personne. Je peux pas croire que les filles sont encore en train de parler de ça ce matin. Trop de messages, là. J’ouvre la conversation, je lis vite fait et je leur répète que : c’est parce que Chakib était pas là qu’on a perdu, Eva s’en fout du foot, elle veut juste plaire à Chakib. Faut la sortir du terrain s’il est pas là. C’est tout. C’est simple. Faut se calmer ! C’est trop tôt là.
Debout ! Muscu. Douche froide. En bas, dans la cuisine, Mehdi révise. Il a sorti le muesli, m’a pressé une orange. On est que tous les deux, les autres dorment. Mehdi sort la tête de ses cours pour me demander comment c’était le foot hier. Je lui dis que c’était bien mais que mon équipe a perdu le match parce qu’il y avait Eva dans l’équipe mais pas Chakib au bord du terrain. Mehdi sourit. Pour lui, Eva est juste nulle au foot. Elle devrait arrêter. C’est vrai. Mais si elle continue c’est parce que le foot c’est les copines, c’est nous, et elle veut pas perdre ça, c’est normal. Les amies du foot, c’est la famille. Mehdi fait oui. Eva passe ses samedis sur le banc, elle est jamais sur le terrain, elle joue jamais plus de cinq minutes, mais elle vient quand même, tous les samedis. Elle prend le bus avec l’équipe, elle se change dans les vestiaires, elle écoute l’entraîneur, elle s’échauffe puis elle rejoint le banc et elle regarde le match. Elle fait des stories pour le club, elle nous encourage, elle s’énerve avec nous quand on perd, elle est trop contente quand on gagne. C’est le foot, c’est la famille.
Mehdi demande si moi ça va, est-ce que la prépa pour la détection se passe bien ? Je dis oui.
C’est tôt.

C’est calme. Il fait nuit. Avant de me lever, j’écoute la dernière composition de Samy. Il a appelé ça Fin août + automne. C’est hyper déprimant. C’est la suite de ses morceaux pour Fadia. J’ai adoré Janvier et Février, les premiers morceaux. Après c’est devenu bizarre. Juin c’était du silence. Apparemment, il fallait avoir la réf pour être touché. J’avais pas la réf. Juillet c’était plus ou moins la même chose, c’était “un morceau absent”. Il nous l’a envoyé pendant l’été. Il nous a demandé ce qu’on en pensait. On a dit que c’était nul. C’est Sarah qui m’a proposé qu’on soit honnêtes. Déjà du silence c’était limite mais un morceau absent c’était carrément de la merde. J’étais d’accord avec Sarah. On a dit ça bien à Samy. On lui a dit que ce serait mieux qu’il arrête de composer des trucs en lien avec Fadia puisque c’était fini avec Fadia. Fin août + automne dure dix-sept minutes. Il y a des paroles. C’est triste. Samy nous a envoyé ça hier soir, tard. Je demande à Sarah si elle a écouté et ce qu’elle en pense. Elle est en ligne mais elle ne répond pas. Elle doit être en train de se prendre la tête avec les filles du foot. Si elle a perdu hier, je pense qu’elle n’aura pas écouté le morceau de Samy.
Il faut que je me lève. Flemme et mal de ventre. J’ai pas envie d’aller au collège. J’ai envie de dessiner à mon bureau. En plus j’ai tellement d’idées pour ma collection automne-hiver. J’en ai parlé hier soir à table mais ici personne ne veut croire que styliste est un métier. Je m’en fiche, j’en parle quand même. Ça frappe à la porte. Je suis réveillé, oui, mais je n’ai pas envie d’aller au collège. Ma mère rentre dans ma chambre, elle ouvre les volets et elle laisse la fenêtre ouverte pour aérer. Elle me scrute. Faut que je l’apitoie. Pitié. Raté. Elle décide que ça va aller, au final je passe toujours des bonnes journées au collège, non ? Non. Mais si. Elle regarde mes dessins sur mon bureau. Elle trouve que c’est pas mal. Si je veux vraiment vivre ce rêve, je dois aller au collège et je dois réussir. Je lui demande de sortir de ma chambre et de laisser la fenêtre ouverte pour que je m’y jette. Sarah n’a toujours pas vu mes messages et Samy veut que je lui rapporte mon cahier de maths pour réviser le contrôle. Imane lui a pris la tête. Il en fait des blagues. Il est con. Ça me donne la force de me lever, de fermer la fenêtre et de rejoindre ma mère en bas.
Bus

Salut
Salut
T’as écouté la composition de Samy ?
Ah non. J’avais deux cents notifications des meufs ce matin. Vas-y, fais écouter.
On n’a pas le temps jusqu’à l’arrêt de bus. Le morceau fait dix-sept minutes.
Quoi ?! Mais non… Et c’est de la musique ?
Oui. Il a même un peu chanté.
Mais non ?! Mais il chante ?
Apparemment.
C'est bien ?
C’est assez déprimant.
Vas-y, fais écouter un peu.
Ils écoutent.
Il est dans le mal.
Ouais.
Moi ça me saoule. Il a plus d’humour.
Si, ça va.
Ouais. Mais il s’en fout de tout.
Pas vraiment.
Moi, il me saoule.
Il est triste.
Ouais.
C'est chiant.
C’était bien l’entraînement ?
L’entraînement, oui. En plus le coach il me prépare pour le centre de formation. Après, on a perdu le match entre nous. Les filles ça les rend folles, alors que c’est des matchs qui servent juste à progresser… Elles ont trop de temps à perdre, elles s’énervent trop.
Toi tu t’énerves aussi.
Je m’énerve dans ma tête. Je me dis pourquoi si elles veulent plus jouer elles viennent au foot. Hier c’était Eva mais elles sont plein à venir mais elles s’en foutent au final. Elles viennent parce que c’est stylé de faire du foot. Mais elles s’investissent pas. Du coup, moi j’ai l’impression que je suis la meilleure, mais le coach m’a dit que dehors, les filles, elles sont monstrueuses, et que je ne dois pas croire que je suis la meilleure du monde. Je suis juste la meilleure du club, mais aussi parce que les filles elles s’en foutent. Si ça se trouve à cause d’elles je vais arriver avec trop de confiance pour la détection et je vais juste me faire humilier.
C’est ce que le coach a dit ?
Non.
Sarah et Eli arrivent à l’arrêt de bus. Ils préviennent Samy qui sort de son immeuble situé sur le trottoir d’en face. Samy traverse la route, il salue Sarah et Eli. Il demande à Eli son cahier de maths. Il s’excuse mais il ne va pas pouvoir parler parce qu’il doit réviser, sa sœur lui a pris la tête. Sarah met ses airpods, elle continue d’écouter Fin août + automne. Dans le bus, elle écrit à Eli que : “c’est pas possible un truc aussi déprimant.” En descendant du bus, Samy leur demande s’ils ont écouté son morceau. Il leur demande ce qu’ils en ont pensé. Eli dit : c’est beau. Sarah dit : déprimant.

Français

Cette semaine, en français, la 3eC présente des exposés sur l’autobiographie. Samy, Sarah et Eli n’ont pas terminé le livre qu’ils doivent présenter vendredi. Ce qui les rassure, c’est que les exposés d’aujourd’hui sont nuls. Personne n’a lu son livre en entier et ça se voit. Samy et Sarah ne comptent pas lire le livre, mais demain ils vont réfléchir à comment faire pour faire comme s’ils l’avaient lu. Déjà, Eli a tout lu, c’est bien ça. Mais la prof sait qu’Eli lit les livres et que Samy et Sarah ne les lisent pas. Le livre est un choix de Sarah : One life de Megan Rapinoe. Demain, Eli va partager ses fiches sur le livre, Sarah va raconter tout ce qu’elle sait sur Rapinoe puis ensuite, tous les trois, ils vont regarder des vidéos sur elle. Ils ne sont pas inquiets, ils ont confiance. Ils ont imaginé qu’ils pourraient finir l’exposé avec une petite mise en scène, un truc théâtral qui plairait à la prof. Ce sera carré.

Je comprends rien à Pythagore. Eli est à l’autre bout de la salle, il ne peut pas m’aider, et Nadim, à côté de moi, est trop sérieux, il écoute les exposés. Je n’arrive pas à savoir si c’est grave d’être nul en maths. Imane dit que c’est dans ma tête que je suis nul en maths. Pour elle, tout est une question de volonté. Ça a marché comme ça pour elle. Elle veut que ce soit pareil pour moi. Il faut que je veuille comprendre Pythagore.
Le deuxième exposé est mieux que le premier. Déjà, on a l’impression qu’ils ont lu le livre, du coup on croit à ce qu’ils racontent. Avec Eli et Samy, faut qu’on fasse ça, faut qu’on arrive avec la confiance et le sourire et avec des choses intéressantes à dire. Déjà, si on fait ça : on passe un bon moment, la classe passe un bon moment. Notre groupe tient la route : moi, Megan Rapinoe, c’est mon modèle sur terre, Eli, lui, il lit des livres. Samy sert pas à grand-chose mais au moins il passe pour celui qui a rien fait et ça me sauve. Généralement, Eli a dix-huit, Samy a douze et moi j’ai quatorze. Et puis là, Madame Ezzine va voir que je suis passionnée. Ça va lui plaire. Elle dit tout le temps que dans la vie il faut se passionner pour les choses. Madame Ezzine c’est pas vraiment une prof de français. C’est une coach. Des fois c’est bien, des fois c’est trop. Elle est très positive. On se demande si elle croit vraiment à tout ce qu’elle nous dit. Eli pense qu’elle y croit. Moi, je pense : c’est facile de dire tout ça, c’est facile d’avoir un discours motivant, mais c’est moins facile d’être toujours motivée. Madame Ezzine fait partie des adultes cools mais c’est un être humain, elle est forcément des fois déprimée ou en colère, parfois elle doit avoir la flemme. Pour moi, dans la vie, on peut pas être toujours positif et s’intéresser à tout, tout le temps. Eli sait pas. J’ai demandé à Madame Ezzine si une passion unique mais du coup une passion infinie, c’était déjà bien. Elle a répondu :
Je ne comprends pas pourquoi les gens s’en foutent. Ils s’en foutent, du coup on se fait chier. Je ne comprends pas pourquoi Madame Ezzine ne leur dit pas que c’est de la merde. Elle dit que c’est fragile. Elle ne dit jamais quelque chose de plus sévère que “c’est fragile”. Et après, en plus, elle dit “mais…” et elle dit que certaines choses étaient bien. C’est faux. C’était de la merde. Je ne pourrais jamais être prof. Madame Ezzine c’est une coach de vie. Déjà, elle a l’air d’adorer la vie et en plus elle aime tous les élèves. Elle donne l’impression de croire en chacun de nous. Ce qui est clairement impossible. C’est comme si elle ne voyait pas la violence de certains élèves. C’est comme si ça ne lui faisait pas peur. Elle dit que la violence vient après la bêtise et que la bêtise vient après la frustration. Et donc ? Elle m’avait dit que je devais apprendre à ignorer les remarques blessantes et que je ne devais pas cultiver ma colère vis-à-vis de ceux qui me jugent et s’en prennent à moi. Elle m’avait conseillé de garder mon sang-froid face à eux, ils allaient se lasser. Elle a plutôt eu raison. Il y a deux ans, j’étais un monstre. Aujourd’hui, je suis invisible. C’est mieux. Je sais que dans le monde, il y a des gens comme moi. Par exemple, il y a Hunter Schafer. Il y a Elliot Page. Ici, je crois bien que je suis seul mais il y a Samy et Sarah.
La récré

À la récréation, ils restent tous les trois. Sarah n’a pas envie d’aller voir les filles du foot. Elles sont avec les garçons du foot. Sarah aime bien les garçons du foot mais elle n’aime pas comment les filles et les garçons du foot se comportent quand ils sont ensemble. Ils ne parlent pas de foot. Si c’est pour parler du reste, Sarah est mieux avec Samy et Eli. Même si depuis que Samy fait tout le temps la gueule, c’est moins drôle. Eli est dans ses rêves. Ses parents lui mettent la pression pour ses notes. Il obéit, comme ça, il a la paix. Ses parents lui disent qu’il fait les rêves qu’il veut tant qu’il a des bonnes notes. Eli est fan de Hunter Schafer. Il voudrait avoir la même vie qu’elle. La gloire et l’amour. Samy veut en savoir plus sur l’avis de Sarah et d’Eli par rapport à Fin août + automne. Sarah n’a rien à dire de plus que tout à l’heure, elle en a marre de le voir toujours déprimé, elle espère qu’il ira mieux quand il aura fini son album et qu’il composera un truc joyeux pour Noël.
Je suis désolé.
Faut pas que tu sois désolé, faut juste que tu passes à autre chose.
A la limite si tu créais des chef d'œuvre grâce à ta rupture, ce serait cool.
Mais ça fait six mois que ta musique c’est du bêton.
Comment ça ?
Je sais pas.
C’est gris.
C’est bouché.
C’est pas drôle.
Tu te rends pas compte, toi.
Pourquoi ?
Parce que t’as pas été amoureuse.
Si.
Non mais t’as pas été amoureuse de quelqu’un qui t’aime.
Tu sais pas.
T’as pas été en couple.
Toi t’as été en couple ?
Ben, ouais. Avec Fadia, on était en couple.
C’était un couple, ça ?
Eli, j’étais en couple avec Fadia ?
Oui.
Oui, non mais ok t’as été en couple, t’étais amoureux, Fadia t’a quitté, t’es triste. Mais faut passer à autre chose.
Je ne sais pas comment le dire mieux. Je pense qu’Eli est d’accord. Eli, t’es d’accord ?
Je suis d’accord, oui. Il faut que tu oublies Fadia.
Il faut qu’elle sorte de ta tête.
Tu ne devrais pas finir ton album.
Tu devrais en commencer un autre.
Sur nous, par exemple.
Tes potes.
Je suis d’accord avec Eli.
Je ne veux pas être méchant, mais vous comprenez rien.
Ok.
Et moi je veux pas être méchante,
mais tu me saoules.
… Et toi, pourquoi tu dis pas à Manon que tu l’aimes, là ?
Comment ça ?
Pourquoi tu dis pas à Manon que tu l’aimes ?
Vous pouvez être ensemble en secret.
Manon, elle est lesbienne, elle l’a dit.
C’est pas parce qu’elle est lesbienne que je lui plais.
Oui mais elle, elle te plaît.
...
Parle-lui. Vas-y.
Comme ça tu comprendras mieux l’amour.
J’attends la détection. Puis la fin du collège.
Puis la fin du monde.
Voilà.
Education Physique et Sportive

Qui a inventé l’acrosport ?
Qui a inventé l’acrosport ?
Qui a inventé l’acrosport ?
Sarah et Samy attendent Eli qui se change dans le placard à ballons. Il met toujours un temps infini à se changer. Ali et Maxence les attendent dans la salle de gym. C’est bon, Eli est prêt. Ils rejoignent la classe. Dans deux semaines, c’est l’évaluation. Ils n’ont pas encore toutes les figures de leur chorégraphie. Ils vont passer devant toute la classe. Samy doit composer un morceau pour leur chorégraphie. Il n’a pas commencé. Sarah pense qu’ils ne peuvent plus attendre, ils vont choisir dans la playlist de la prof. Madame Boulon trouve que c’est dommage. Elle pense qu’ils pourront encore profiter de la séance de vendredi pour ajuster la chorégraphie sur la musique mais du coup il faudrait que Samy compose quelque chose pour vendredi. Samy pense que c’est possible. Sarah lui dit de ne pas faire un truc déprimant, sinon ils choisiront autre chose. Madame Boulon demande à Sarah où elle en est de sa préparation pour la détection. Sarah dit qu’elle a peur parce qu’elle est la meilleure du club mais son club est nul. Elle va aller au stade tous les soirs, pour s’entraîner avec d’autres équipes, son coach lui a proposé. Madame Boulon est leur adulte préférée au collège. Elle est très directe, elle ne ment pas, elle les respecte et on dirait qu’elle comprend tout. Elle a compris qu’Eli ne voulait pas rejoindre les vestiaires des filles mais qu’il ne voulait pas non plus rejoindre les vestiaires des garçons. Elle lui a ouvert le placard à ballons. Madame Boulon leur pose des questions sur leur vie, pas sur leur vie très privée mais sur la vie en dehors du collège. Elle répète souvent qu’il faut se détendre. Selon elle, il n’y a pas beaucoup de choses graves dans la vie, il y en a, mais il y a surtout des choses qui paraissent graves aujourd’hui et qui le seront moins demain. Quand la mère de Sarah est morte, elle n’a pas dit que ce n’était pas grave. Quand Sarah n’est plus venue au collège, Madame Boulon a demandé comment elle allait. Quand Sarah est revenue, elle lui a demandé comment ça allait. Elle lui parlait un peu après le cours, Sarah n’était pas obligée de parler, Madame Boulon lui demandait juste si ça allait, comme ça Sarah savait que si ça n’allait pas, elle pouvait en parler à quelqu’un.


Fadia fait trop la belle avec ses copines. Elles ont fini leur choré et elles se perfectionnent. Elles reprennent les mêmes figures en boucle et elles se félicitent les unes les autres. Sarah me dit d’arrêter de les regarder et qu’il faut que je me concentre si je veux pas avoir une sale note. Sarah dit qu’on est dans la merde. Elle s’énerve toute seule. Nous on s’en fout. Enfin, Ali et moi on s’en fout parce qu’on est nuls en sport depuis toujours donc ce qui se passe aujourd’hui c’est juste la routine. Sarah le sport c’est sa religion donc si on est dans son équipe et qu’on fout rien c’est du blasphème, elle part en vrille, elle nous dit des trucs genre : “ça vous sert à quoi d’être nuls en sport ?”. En principe, on n’est jamais ensemble en sport avec Sarah parce que ça nuit à notre amitié. En sixième, on s’était plus parlé pendant deux semaines parce que j’avais raté une passe décisive au hand. Depuis, on se met plus dans les mêmes équipes. Mais là, elle était absente quand on a fait les groupes pour l’acrosport et on a dit que Sarah serait avec nous. Eli disait qu’on pouvait pas se permettre d’avoir une note de merde en EPS parce que ça compte pour le brevet. Il fallait prendre Sarah dans notre groupe. J’ai dit ok, ça m’allait. Ali aussi ça lui allait, forcément. Maxence, lui, il s’est pas encore remis d’être dans le même groupe que Sarah qu’il a envie de pécho depuis la sixième. Sarah nous en a voulu à mort quand on lui a dit que son groupe c’était nous, mais Eli lui a fait le coup de “t’es mon modèle, j’ai envie de progresser". Sarah s’est calmée. Aujourd’hui, elle est pas calme. Je vais dire oui à tout et je vais faire ce qu’elle dit comme ça on pourra rester potes. Elle parle trop mal, c’est ouf. Fadia et son groupe nous regardent parce qu’on est nuls et que j’imagine que c’est drôle. Je finis par aller les voir et je leur demande si elles ont un problème. Elles lèvent les yeux au ciel. Fatoumata me tchipe, Fadia rigole. Quelle bande de connes. Eli vient me chercher. J’ai envie de me casser mais Sarah me dit de me mettre à quatre pattes à côté d’Ali. On est les porteurs, Sarah dit ça comme si c’était la chance de notre vie.
Je suis le seul espoir de cette équipe. J’étais malade quand ils ont fait les groupes. En principe, en sport, je ne me mets jamais avec mes amis parce que mes amis sont nuls en sport, or, j’ai besoin du sport pour remonter ma moyenne et j’ai besoin de faire partie des meilleurs en sport pour donner du sens à ma vie. Mon groupe est nul. Heureusement, la note sera individuelle. Mais ça, c’est comme pour le club de foot. Être la meilleure chez les nuls, c’est comme être nul, c’est juste être la moins nulle des nuls. Les figures qu’on peut prétendre maîtriser sont nulles. Ali est le mec le plus mou du collège. Il lui faut dix minutes pour se mettre à quatre pattes. Du coup, il ne bougera pas, il va rester à quatre pattes. Maxence s’en sort à peu près parce qu’il veut sortir avec moi, il essaye de m’impressionner, du coup il fait des efforts. Je lui souris souvent pour l’encourager et pour qu’il donne tout. Eli fait de son mieux mais il n’a pas d’équilibre, il n’est pas coordonné et il ne veut pas m’impressionner donc il est… ouais, bon. Samy s’en fout totalement + il est en dépression = porteur, à quatre pattes. On présente une première version de notre chorégraphie à Madame Boulon.

Elle nous (me) dit que ça ne va pas du tout. Il faut que chaque élève soit porteur puis voltigeur. Je m’assure d’avoir bien compris : Ali doit voler ? Elle me dit oui. Je lui demande combien on peut avoir sur vingt avec la choré de maintenant. Elle me dit que notre choré, là, ne peut pas être notée. Je vais crever encore plus qu’en maths, là. Je sais qu’il faut que je me calme. Là, c’est les moments où il faut que je reste calme. Mais je peux pas être calme, en fait. Madame Boulon me demande si j’ai besoin de faire une pause dehors. Non. Ok. Calme. Mais moi je peux pas avoir 0 en sport par contre sinon ouais je suis dehors, je suis dehors dehors, je suis dans la rue, les autres ils ont le reste, je peux pas avoir 0 en sport, moi. Mais en plus ce sport, déjà, c’est pas du sport, la vérité, mais je veux bien, okay, jouer le jeu, de toute façon j’ai pas le choix, mais si quand je joue le jeu, après, j’ai 0, c’est pas juste ! Qu’est-ce que j’y peux si je suis dans un groupe de merde ?! Madame Boulon : Sarah, tu sors. Couloir, pleurer, respirer, penser ce soir, penser le foot, être quelqu’un de bien. Respect. Respirer. Pas pleurer. C’est bon, je suis calme. Retour. Les autres me disent que ça va aller, ils vont faire des efforts et ils vont progresser et on va avoir dix-huit. Je sais que c’est impossible mais je ne veux pas me faire virer d’EPS à cause de ma colère donc on s’assoit tous les cinq avec le classeur des figures et on revoit notre chorégraphie. Samy me dit qu’il aura la compo pour vendredi et que ça va être incroyable. J’ai envie de lui péter les dents mais je lui souris.
Mon rêve ce serait d’être gracieux. Je trouve ça beau la grâce. Fadia est gracieuse. Dans notre groupe, Maxence peut se montrer gracieux mais vite fait parce qu’il assume pas. Sarah est l’inverse de la grâce. C’est carré. C’est stratégique, efficace et impeccable mais ça n’a pas de charme. Je lui ai déjà dit que sur le terrain son jeu manquait de charme, elle m’a dit que j’étais débile. Je n’ai pas d’équilibre et j’ai des problèmes de coordination, du coup, c’est difficile pour moi d’aimer l’acrosport. J’ai toujours été nul en sport ce qui m’embête parce qu’en vrai je ne comprends pas pourquoi je suis nul. J’en avais parlé avec Sarah et elle m’avait dit que c’était parce que je passais trop de temps dans ma tête à rêver. Le sport c’est concret, c’est le corps dans l’espace. J’en avais aussi parlé à Madame Boulon qui m’avait dit que si je voulais progresser, je devais persévérer, m’entraîner, m’entraîner, m’entraîner. Elle m’avait dit que ça marcherait. Quand on a fait CLD (course longue durée), je me suis entraîné avec ma mère. Ma mère fait des triathlons, donc elle court plusieurs fois par semaine et elle fait du renforcement musculaire. Elle était trop contente que je vienne courir avec elle. Elle courait super vite mais après elle revenait me chercher. Ça ne l’embêtait pas. Après, on faisait des étirements, on buvait beaucoup d’eau, on allait prendre nos douches puis on mangeait avec mon père. J’ai eu dix-sept en CLD. Mais maintenant c’est acrosport. Je ne vois pas comment je peux m’entraîner chez moi. J’essaye de progresser en cours. Pour l’instant, je suis toujours nul puis Sarah me stresse. Elle a besoin d’avoir des bonnes notes en sport. On ne veut pas la décevoir. En plus, quand Sarah est en colère, elle est super dure. Elle dit des trucs horribles. Après, elle s’excuse toujours. Mais quand même, sur le coup, c’est choquant. Sarah est intense. Moi je l’aime bien, parce qu’avec elle les journées sont moins longues. Quand sa mère est morte il y a deux ans et que Sarah n’est plus venue au collège, d’un coup, les journées sont devenues interminables. Avec Samy, on n’avait pas grand-chose à se dire et en plus, nous, c’est grâce à Sarah que les autres nous parlent. Sinon, les autres nous trouvent ennuyeux et bizarres. Quand Sarah est revenue, le monde est redevenu lumineux, même si elle était triste. Mais elle ne montrait pas vraiment sa tristesse, elle faisait comme avant. Elle râlait, elle parlait mal mais elle nous protégeait.
La cantine


Il y a toujours la queue à la cantine parce qu’il y a toujours des élèves qui n’ont pas leur carte, ça crée des problèmes, ou qui mentent, ils disent qu’ils font partie du club lecture alors qu’ils font juste partie du club j’ai trop la dalle, je peux pas attendre.

On mange avec les filles du foot parce que Sarah veut qu’on mange avec elle. Elle veut reparler de la choré. Je l’écoute pas, de toute façon l’acrosport c’est pas mon truc. Je dis “oui, oui” et comme ça j’ai la paix. Et je garde ma pote. Je regarde Fadia, là-bas, qui fait trop la meuf. Elle arrête pas de rigoler avec ses copines et elle fait comme si j’existais plus. Elle avait dit qu’on pouvait rester amis mais au final on n’est pas amis. Je voudrais m’en foutre mais je pense qu’à ça. J’ai pas compris pourquoi c’était fini. Elle m’a dit qu’elle n’était plus amoureuse de moi. Du coup, j’ai pensé qu’elle était amoureuse de quelqu’un d’autre. Non, c’était juste qu’elle m’aimait plus, moi. Elle est seule, apparemment. Tout le monde le dit. Je vois rien sur snap, rien au collège, rien dehors. Après les cours, elle rentre chez elle, elle habite dans l’immeuble en face de chez moi. Elle rentre et elle travaille. Elle veut réussir, pour elle réussir c’est d’abord réussir à l’école. Elle veut être avocate. Elle veut aussi continuer à courir. C’est une athlète. Elle a pas trop d’humilité. Elle aime pas perdre, elle aime gagner. Elle se la raconte, parfois. Elle avait aimé un truc que j’avais composé pour une évaluation de musique. Elle m’avait parlé pour la première fois après ça. Et après, on s’était mis à parler en bas de chez nous, le soir, en bas des immeubles, avant de rentrer. Un soir, on s’est embrassés. Je suis tombé amoureux d’elle, de ouf. Je lui ai dit. Elle aussi, elle m’aimait de ouf. Juste avant l’été, elle m’a dit qu’elle était plus amoureuse de moi. J’ai pas compris. Elle avait pas d’explications. Elle m’a dit qu’elle était désolée mais que si je voulais on pouvait rester amis.
Il y a peut-être moyen qu’on ait 15/20. J’ai expliqué notre nouveau projet à Madame Boulon, elle m’a dit qu’on pouvait avoir quinze, ou plus. Mais elle dit ça pour être positive, comme font les profs. Je sais, moi, qu’on aura quinze, ou moins. Les autres sont contents. Samy n’est plus en dépression. Eli a dit qu’il allait s’entraîner chez lui pour gagner en équilibre. Maxence m’a dit que j’étais trop forte, j’ai souri, je lui ai dit que lui il pouvait faire encore mieux, c’était sûr, je lui ai dit que ça lui allait bien l’acrosport et je lui ai posé trois questions sur sa vie : avec ça, il va tout donner. Ali, lui, je lui ai rien dit. Je demande à Samy pourquoi Ali est dans notre groupe. C’est parce qu’il n’avait pas de groupe. Mais pourquoi c’est dans notre groupe qu’il a atterri ? Samy m’explique que c’est parce qu’à part moi, on est globalement le groupe des nuls en sport, et les nuls en sport sont solidaires, ils se mettent ensemble. Je comprends pas leur logique. Quand t’es fort tu te mets ensemble pour être plus forts mais quand t’es nul tu peux pas chercher à être plus nul. C’est débile. Samy hausse les épaules. Plus jamais de la vie je manque un cours d’EPS parce que j’ai la gastro. Plus jamais.
Je n’aime pas la cantine. Je n’arrive pas à manger à la cantine. Je mange du pain. Je trempe le pain dans les sauces de salade ou de viandes. Je bois de l’eau. Je pense au repas de ce soir qui sera réconfortant. Sarah et Samy se partagent mon assiette. Ils en donnent aussi aux filles du foot. Ça se voit que Manon aime bien Sarah. Manon a déjà demandé à Sarah si elle était lesbienne et Sarah a dit qu’elle ne se pose pas ces questions-là, qu’elle se concentre sur le foot. Sarah dit que les gens respectent Manon parce qu’elle est grande et qu’elle est sympa, qu’avant de dire qu’elle est lesbienne, elle a d’abord su se faire aimer de tout le monde, donc après, quand elle a dit qu’elle était lesbienne, à la fin de la quatrième, personne ne l’a attaquée, parce que tout le monde l’aimait déjà trop. Manon est hyper sympa. Alors que Sarah a un sale caractère. Elle dit tout le temps qu’elle s’en fout du regard des autres mais dès qu’elle pense qu’on la juge, elle pète un câble. Elle a un problème avec la colère. Elle a été exclue du collège l’an dernier à cause de ça. Si Sarah dit qu’elle est lesbienne, les gens tenteront de s’en prendre à elle, par principe, comme ils s’en sont pris à moi. C’est facile. Si elle dit qu’elle aime bien les filles, il y aura des remarques au début, c’est sûr. Sarah, elle ne le supportera pas et je pense qu’elle sera capable de casser des poignets et de péter des dents. Elle est comme ça. On pense quand même avec Samy qu’elle devrait dire à Manon qu’elle l’aime bien parce qu’elles pourraient se voir en secret. Genre, avant le foot ou après le foot. Ou discuter sur snap. Samy dit qu’elles iraient bien ensemble. Je suis totalement d’accord.
Permanence


Samy a eu une idée pour l’oral d’espagnol. Le thème c’est : el viaje de nuestros sueños. Il faut employer le vocabulaire du voyage, du rêve, des goûts et le présent. Ça doit être poétique. Ils passent à seize heures, après la récré. C’était à Samy d’avoir une idée parce que Sarah gère l’acrosport et qu’Eli a lu One life de Megan Rapinoe, en entier. Samy présente d’abord son idée au surveillant, Monsieur Kasket, qu’ils appellent Monsieur Kaskette. Monsieur Kasket les suit depuis qu’ils sont en sixième. Il était responsable des sixièmes quand ils sont arrivés au collège. Après, il est devenu responsable des cinquièmes, puis des quatrièmes, puis des troisièmes. Il les connaît, ils le connaissent. Monsieur Kasket, c’est un artiste. Il ne veut pas dire quel artiste il est. Il dit qu’il leur dira quand ils auront eu leur brevet. Pour lui, l’art c’est plus important que le reste. Il faut être un artiste dans la vie, même si t’as pas de talent à la base, même si tu crois que t’es pas fait pour ça et que ça te parle pas la création, il faut être un artiste. Monsieur Kasket a encouragé Samy à prendre au sérieux sa musique. Il lui a dit : tu travailles à l’école, comme ça t’es tranquille, et tu fais ta musique, comme ça t’es heureux. Samy met ses morceaux sur une clé USB et il la donne à Monsieur Kasket. Ce matin, il lui a donné sa clé USB pour lui faire écouter Fin aout + automne. Monsieur Kasket a écouté le morceau pendant sa pause, à midi. Dans la cour, il a discuté avec Samy, il lui a dit que les paroles étaient trop cheap, si Samy a quelque chose à dire, il doit le dire, il doit pas bredouiller, soit t’insères des paroles, soit t’en insères pas.

Alors, c’est quoi tes idées pour l’oral d’espagnol ?
Le voyage de nos rêves :
Dans le train, Eli dort, Sarah dort et Samy dort. Le train avance. Ce matin, tôt, ils ont pris le train. Ils ont entamé le voyage de leurs rêves.
Pendant des semaines, ils avaient réfléchi à leur voyage de rêve. Ils n’avaient pas les mêmes rêves. Comment allaient-ils faire le même voyage ?
Eli rêve de beauté. Il aime la mer, le soleil et les défilés de mode. Sarah aime le foot. Elle aime aussi ses frères mais ils ne peuvent pas venir parce qu’ils ont leur vie. Samy aime écouter ce qui se passe dans sa tête pour faire de la musique.
Comment allaient-ils faire pour voyager ensemble ?
Il leur faudrait un train. Un train qui va vers la plage. Sur la plage, il y aura des défilés de mode. Sur la plage, il y aura des filles qui veulent jouer au foot. Sur la plage, Samy pourra fermer les yeux pour faire de la musique avec les vagues.
Dans le train, Eli, Sarah et Samy dorment et ils imaginent la plage où ils arriveront bientôt pour entamer leur voyage de rêve.
C'est bien.
Oui, c'est bien.
Par contre, c’est en français.
C'est ça.
C’est poétique ?
Je dirais que c’est poétique. C’est nos rêves.
Il a dit quoi Monsieur Kasket ?
Il a dit que c’était bien.
Mais, tu lui as montré la consigne ?
Non. Je lui ai expliqué l’exercice.
...
Oui, c'est bien.
Merci Samy.
Par contre, maintenant, faut qu’on traduise.
C’est vrai.
Arts Plastiques
Consigne : par groupe de 2 ou 3, produisez la représentation d’une silhouette humaine qui s'intégrera parfaitement dans l’espace du collège. Attention, ce corps doit être fait grandeur nature et doit interagir correctement avec l’espace dans lequel vous l’exposez. Techniques et matériaux : feuilles canson grand format + peinture, marqueurs, fusains, etc.

Pour trouver une idée, les élèves sont autorisés à sortir de la salle. Ils déambulent. Ils cherchent sur les murs des gestes, des attitudes, des interdits, des fuites. Samy travaille avec Eli, Sarah travaille avec Inès et Mathilde. Tous les cinq, ils se suivent. Inès, Mathilde et Sarah parlent du foot. Inès et Mathilde ne font pas de foot mais elles sortent avec Jordan et Youcef qui font du foot. Jordan aussi a été repéré pour la détection. Il stresse à mort. Il s’entraîne à mort. Inès se dit que s’il est pris au centre de formation, ils vont sûrement rompre, parce qu’ils ne se verront jamais. Elle a voulu en parler avec lui mais il lui a dit qu’ils en parleraient après, s’il était pris, et qu’avant ça il ne voulait que des ondes positives. Inès le trouve égoïste mais Sarah le comprend. Elle dit à Inès qu’elle doit se mettre à sa place : être pris en centre de formation c’est passer du mode rêve au mode réalité. Elle sait pas Inès ce que ça veut dire ça, parce que ses rêves à elle ils sont possibles. Vouloir être footballeur ou footballeuse pro, ça peut rester un rêve tout la vie. Après, ça se transforme en regret et après t’es obligé de tout recommencer dans ta tête, depuis le début : t’es qui s’il y a plus le foot ? c’est qui tes potes ? c’est quoi tes soirées ? c’est quoi ton but ? Sarah dit que certaines nuits, elle dort pas, parce qu’elle cherche les réponses à ces questions au cas où le foot ça marcherait pas. Mathilde propose une silhouette de joueuse de foot, sous le préau. Elles laissent Samy et Eli dans les couloirs et elles rejoignent la cour de récré pour trouver leur mur et chercher l’allure de leur silhouette. Samy et Eli s’assoient. Ils ont pas d’idée. Eli trouve qu’une silhouette c’est triste. Samy trouve que les couloirs du collège sont moches. Ils pourraient faire la silhouette de quelqu’un qui s’ennuie comme eux, assis par terre. Ils aiment leur idée. Eli prend Samy en photo, assis contre le mur. Il le fait changer de position, pour qu’on puisse distinguer les jambes, le torse et les bras. Il faut que la position ait l’air naturelle, quand même. Profil, jambes pliées qui remontent vers le menton, bras tendu, la main qui tombe, bras plié, la main qui accueille le menton. Des cheveux montés en chignon. Ce sera Sarah. Le prof valide le projet et la photo, ils peuvent aller découper leurs mètres de papier canson. Les filles ont aussi fait valider leur idée. Leur silhouette arrête les ballons dans les cages de la cour. Elle ne vivra pas longtemps, mais elle aura son heure de gloire.

Espagnol

Le prof d’espagnol est un con. Il est méchant. Quand il veut être sympa, personne n’y croit. Il n’aime pas les jeunes. A la machine à café, il dit “ces connards” pour parler des élèves. Il appelle Eli, Elise, parce qu’il dit que ce n’est pas légal de changer le prénom d’une élève juste parce qu’elle le demande. Aux conseils de classe, Madame Boulon lui dit ce qu’elle pense de sa pédagogie : dépassée, autoritaire, inefficace. Une fois, le prof d’espagnol a quitté un conseil de classe parce qu’il s’est senti agressé par les propos de Madame Boulon, il les a trouvés “inadmissibles”. Madame Boulon ne s’est pas excusée et contrairement à ce qu’espérait le prof d’espagnol, elle n’a pas été renvoyée. Grâce à Madame Boulon, Samy, Sarah et Eli ont appris à avoir moins peur de lui. Eli l’ignore, il se met dans sa bulle. Sur le parvis, le mardi, après le cours, Samy et Sarah s’assurent toujours qu’Eli va bien.
8/20, le bâtard. 8/20 ! Le prof a trouvé leur voyage de rêve “superficiel” et “grossièrement poétique”. Samy, Sarah et Eli racontent leur oral à Monsieur Kasket qui assure la sortie. Monsieur Kasket rigole et leur dit que ce n’est pas grave, il dit que lui a aimé cette histoire de train et de plage et que si Samy, Sarah et Eli sont contents d’eux, c’est l’essentiel. Samy, Sarah et Eli auraient préféré avoir 18/20 et la paix en rentrant chez eux. Maintenant ils n’ont plus le choix : il faut travailler pour l’exposé de français. Avant que Sarah rejoigne les filles du foot pour l’entraînement, ils se redonnent l’heure et le lieu de rendez-vous pour demain : chez Samy, 15 heures. Les filles forment ensuite un convoi jusqu’au stade avec passage chez McDo, tradition. Samy va rentrer chez lui pour travailler la composition pour l’acrosport. Il propose à Eli de venir avec lui. Mais Eli a envie de rentrer chez lui, il doit s'entraîner pour la choré.

Après les cours
Imane me demande comment s’est passée ma journée. Je viens d’arriver. C’est sa pause. J’aime bien quand elle m’appelle depuis le travail, elle est plus calme, elle s’énerve sur ses collègues, du coup avec moi, elle est cool. Je lui explique que pour les maths c’est plutôt râté mais que pour l’exposé de français on avance bien et qu’en acrosport on va avoir au moins 15. Je lui raconte pas pour l’espagnol parce que pour elle si je travaillais plus je trouverais le prof moins con. Mais elle me demande. Pour l’espagnol. 8/20 ? Elle me trace. Elle a installé pronote sur son téléphone, elle voit heure par heure où je suis et les notes qui tombent. Des fois, je reçois des messages en pleine journée avec des émojis qui pleurent et des mots comme “tu te rends pas compte !!! (émoji qui pleure x6)” “Tu le regretteras !!! (émoji désespéré)” “t’es mort !! (émoji en colère)”, ça c’est pour les notes en-dessous de 4. C’est arrivé une fois. Imane se stresse trop. Les parents d’Eli disent que c’est normal. Elle est jeune. Elle veut que je sois libre. Elle veut que j’aie le choix. Elle voudrait moins s’inquiéter. Elle y arrive pas. J’essaye de la rassurer : grâce à la musique je serai toujours heureux, même si j’ai un boulot de merde. Elle dit que je ne sais pas ce que c’est un boulot de merde. Imane aime son travail. Mais elle a travaillé dur pour faire ce qu’elle voulait faire. Elle voulait avoir des responsabilités, elle en a. Elle a réussi à s’occuper de moi et à avoir sa carrière comme elle voulait. Elle est fière d’elle. Mais elle stresse tout le temps, quand même. Au téléphone, elle me fait promettre que j’aurai quinze à l’exposé de français et quinze en acrosport, je lui promets puis j’insiste pour raccrocher parce que justement je dois composer un morceau pour l’acrosport. Elle m’embrasse, elle sera là demain midi, on se voit quand je rentre du collège.

Seul. Douche. Céréales. Musique. Il fait nuit. J’arrive pas à trouver quelque chose pour cette choré. La flemme. J’ai la dalle. Je jette un œil à l’assiette dans le frigo. Les lasagnes d’hier soir. Cool. Il est dix-huit heures. C’est trop tôt. J’aurai faim toute la soirée si je mange maintenant. Depuis mon salon, je vois la fenêtre de la cuisine de Fadia. Elle n'apparaît plus. Elle doit être en train de travailler dans sa chambre, de l’autre côté. Je pourrais faire ça, moi aussi. Regarder pronote, faire mon travail. J’y arrive pas. J’y arrive jamais. Pour plaire à Fadia, l’année dernière, je faisais mes devoirs. Je pouvais pas aller chez elle, elle pouvait pas venir chez moi. On s’appelait, on travaillait ensemble par téléphone. Elle disait rien, elle travaillait. Je vais pas réussir à créer un morceau pour l’acrosport. Faudra qu’on trouve une musique dans la playlist de Boulon. Il est dix-huit heures quarante-cinq. Il ne faut pas que je mange les lasagnes tout de suite. Vas-y, je regarde pronote. J’ai de l’anglais. Allez. Pour Imane. Pour l’avenir. Cinquante verbes irréguliers. Go, went, gone. Imane va rappeler vers vingt heures. Je lui dirai que j’ai appris cinquante verbes irréguliers, que j’ai vu les lasagnes et que je vais me coucher tôt, oui. Non, je m’ennuie pas, ça va.
Manon mange pas McDo avant l'entraînement. Elle reste dehors, elle attend les autres qui commandent. Moi je rentre avec les autres parce que j’ai toujours fait ça. Je rentre, je fais la queue, je commande rien et sur le chemin je leur tiens la sauce pour qu’elles puissent tremper leurs frites sans galérer.

Dehors, Manon fait des jongles avec le ballon qu’on a toujours sur nous, qu’on planque la journée et qu’on ressort le soir. Elle a le niveau pour le centre de formation mais ça ne l’intéresse pas. Les filles en parlent dans la queue. Manon, elle a le niveau mais elle veut faire des trucs d’intellos, comme ses parents. Elle parle plusieurs langues, elle lit des livres, le week-end ils vont au musée. Elle ne veut pas intégrer le centre de formation. Elle ne veut pas penser qu'au foot. Elle nous juge pas d’aimer que le foot mais nous on la juge un peu d’aimer tout le reste. Commande 89 ! Une meuf nous tend le paquet, les meufs l’ouvrent et vérifient. On est bon ! Direction : stade. Sur le chemin, en mangeant son burger, Amina nous raconte comment sa mère l’a engueulée hier soir parce qu’après notre entraînement elle est restée pour regarder l’entraînement des garçons. Sa sœur devait la couvrir mais elle s’est laissée intimider par sa mère et elle a craché le morceau. La mère d’Amina est venue chercher Amina directement au stade. Amina l’a vue arriver. Elle est descendue des gradins en deux secondes pour essayer de rejoindre sa mère avant le scandale. Amina voulait tracer mais sa mère elle était plus pressée, elle lui criait dessus au bord du terrain. Tout le stade a capté et s’est foutu de sa gueule. Sa mère a voulu la priver de foot mais l’entraîneur l’a appelée pour négocier. Amina ne peut plus sortir ni après les entraînements, ni après les matchs. Elle ne peut plus traîner. Elle doit rentrer tout de suite. Sa mère lui laisse trente minutes pour être à la maison. Si elle est au travail, Amina doit l’appeler avec le téléphone fixe. Sa mère a dit : je veux voir le numéro du fixe s’afficher ! Et ça, jusqu’aux vacances de Noël. Amina est dégoûtée mais elle rigole aussi quand elle nous raconte. La mère d’Amina est trop cool, en vrai. Mais elle veut pas que sa fille traîne avec les garçons, tard le soir, au stade. Aucun parent veut qu’on traîne. C’est juste que certains parents travaillent le soir, alors certaines filles peuvent traîner. Moi je traîne un peu, mais j’aime pas trop, j’aime bien rentrer chez moi après l’entraînement. Quand la journée est complètement finie et que je suis chez moi, j’arrive enfin à plus penser à rien. Je rigole avec mes frères. Anis me montre ses devoirs ou on fait un jeu. Il y a toujours une assiette pour moi au micro-onde. Mes grands frères et mon père me posent des questions. J’ai le droit de me poser un peu dans le canapé, le temps de manger. Après, si j’ai des devoirs, je dois monter les faire, même si c’est tard. Et si j’ai pas de devoirs, je dois monter me coucher, pour me reposer, pour être en forme demain.
Les vestiaires, avant l’entraînement, c’est militaire. On se dépêche, on se concentre. Il n’y a plus qu’une ou deux filles qui racontent leur vie et qui nous font rire.



Après l’entraînement, le vestiaire, c’est le bordel. C’est les maillots par terre, les douches qui sont trop chaudes ou trop froides, c’est les règlements de compte, les prises de tête et toujours la bonne humeur de certaines.

On rentre à pied avec Amina, Samia, Eva et Manon. On vit dans le même quartier, à vingt minutes du stade. Amina nous stresse parce qu’elle doit être chez elle dans dix minutes. Ça nous saoule et ça nous fait rire. Elle finit par nous laisser, elle part devant en courant. Eva s’excuse pour hier, elle était pas dedans, elle s’était engueulée avec Chakib. Puis, le foot, ça la saoule, ça prend trop de place. Manon dit qu’elle la comprend mais qu’elle doit quand même rester engagée quand elle vient, sinon ça sert à rien. Eva dit qu’elle sait. On passe devant chez Manon. Manon s’arrête pas. On continue de marcher dans l'impasse, toutes les quatre. Samia nous laisse. Eva nous raconte sa prise de tête avec Chakib, elle demande à Manon pourquoi elle nous a suivies jusqu’au bout de l’impasse, Manon dit qu’elle aime bien rentrer chez elle quand tout le monde dort. Eva continue de nous raconter sa vie, en même temps elle écrit à Chakib. D’un coup faut qu’elle nous laisse parce qu’il est en train de lui prendre la tête, elle nous dit à demain.
Il ne reste que Manon et moi dans l’impasse. C’était cool l’entraînement. L’entraîneur avait prévu un entraînement sur mesure pour la détection. Il me fallait un binôme. Manon a proposé de m’aider. On s’est raconté des trucs. Je voulais pas que ça s’arrête. La balle, Manon, parler, progresser, ça pourrait être que ça une journée, ce serait tellement mieux si c’était que ça. Je serais plus jamais en colère. Dans l’impasse, on parle plus. Elle me regarde. Elle attend. On reparle de l’entraînement. Au bout d’un moment, on se dit à demain. Elle s’en va. Je dis : attends, Manon. Mais comme je le dis dans ma tête, elle m’entend pas, elle rentre chez elle.


La maison est calme. Mon père travaille à l’étage. Sa voiture est garée dans l’allée. Ma mère est à la piscine. Elle a un triathlon ce week-end. On va l’accompagner pour l’encourager. Je sors dans le jardin. La nuit est tombée. Il y a longtemps, on vivait au milieu des montagnes. Au bout du jardin, il y avait un paysage qui changeait avec les saisons. Maintenant, c’est juste le ciel, au-dessus des haies. Je me souviens de la montagne parce que mon père en parle et parce qu’il y a des photos dans le salon. Depuis la fenêtre de son bureau, mon père me salue. Je le salue. Il me demande comment s’est passée la journée. C’était bien et nul, je leur raconterai ce soir. Il a bientôt fini de travailler, il voudrait qu’on mange dans la véranda, ce soir, je lève le pouce, je mettrai la table dans la véranda. Je n’ai pas envie de leur raconter ma journée. Je rentre dans la maison. Sur la télé, je mets la vidéo que j’ai faite de Sarah où elle m’explique comment faire les figures de notre chorégraphie. Elle a essayé de décomposer les mouvements.

Je pousse la table basse, je m’échauffe les poignets et je commence par le pont, c’est la plus simple. Ensuite, je passe à l’équilibre. Je m’entraîne en balançant mes jambes contre le mur. Je me filme pour voir ce que ça donne. Ca donne rien. J’essaye sans le mur mais j’ai trop peur de tomber donc je ne prends pas assez d’élan. Je regarde des vidéos sur YouTube. Ma mère rentre de la piscine, elle me demande ce que je fais. Là tout de suite je regarde une enfant de quatre ans qui fait des enchaînements de gym au sol et qui a fait quinze millions de vues parce qu’elle est méga douée. Je demande à ma mère si elle veut bien m’aider. Il faut qu’elle mette son bras comme ça, à l’horizontal, pour arrêter mes jambes. Ensuite, elle retire son bras mais si elle voit que je tombe, elle me retient. Ma mère me demande si j’ai mis la table. Mon père a fini de travailler, il descend. Il demande si la table est mise. Je lui explique que je dois m’entraîner pour mon évaluation en acrosport, que j’ai besoin d’eux, ça va prendre cinq minutes, après je mettrai la table. Mon père va préparer le dîner, ma mère accepte de m’aider. Elle me dit de gainer. Sarah aussi, elle me dit de gainer et Madame Boulon, elle répète tout le temps : “gainez !” Je demande à ma mère, concrètement, c’est quoi gainer ? Serre les fesses. Ma mère a faim. Elle veut que je mette la table. Je la préviens : si on s’arrête maintenant, j’aurai moins de quinze à l’évaluation. Pourquoi tu t’entraînes pas demain ? Demain on prépare l’exposé de français. Elle lève les yeux au ciel. Elle veut bien m’aider encore pour trois équilibres. Le deuxième est bien, je tiens deux secondes, tout seul. On décide d’arrêter là, il faut rester sur un sentiment de victoire. Je mets la table puis je vais me doucher. Quand je redescends, mes parents sont à table, ils boivent du vin et ils veulent savoir comment s’est passée ma journée. Je dis qu’elle s’est bien passée. Mon père me dit que j’ai dit “nul”, aussi, tout à l’heure. J’ai dit ça parce que c’est toujours un peu nul, une journée. Lui aussi, et maman aussi, leur journée est forcément un peu nulle. Ils me demandent si “tout va bien au collège” ? Je ne dois plus omettre les petits incidents. La dernière fois que j’ai omis un petit incident, le lendemain, ça a fini en drame. On avait fait un pacte, après le drame. Je ne devais plus omettre les petites altercations, parce qu’apparemment les adultes savent dire si ça peut devenir un drame ou si c’est juste, en effet, une petite altercation. Je leur dis qu’en espagnol le prof nous a saqués et qu’il refuse toujours de m’appeler Eli parce que c’est pas la loi. Mes parents ne disent pas grand-chose. Donc, c’est pas un drame. De toute façon, je ne veux pas qu’ils interviennent. J’ai parlé aux profs l’an dernier, j’ai parlé aux adultes du collège, j’ai parlé à ma classe, il y a ceux qui ont compris que c’est ma décision et qui la respectent, et ceux qui pensent qu’ils doivent intervenir et en penser quelque chose et aller contre ma décision parce qu’ils savent mieux que moi ce qui est bon pour moi. J’ai appris à les ignorer. Je demande à ma mère si elle est prête pour ce week-end. Elle n’est pas contente de ses temps à la piscine. Mais elle dit que ça va être un super week-end, de toute façon, puisque le dimanche on va aller faire du ski de fond, tous les trois. Ma mère essaye toujours de nous convaincre qu’elle accorde autant d’importance à sa famille qu’à ses performances sportives. Nous, on lui sourit, on la soutient. On l’encourage. Elle est pas méchante, elle est juste dans son truc.
Micro-ondes



Vingt heures trente + cinquante verbes irréguliers appris par cœur = lasagnes. Il y a quatre parts. J’en réchauffe trois.
Un flan de légumes ? C’est quoi ? Ça a l'air dégueulasse. Je dis rien. Je dis merci. Je le mets au micro-ondes et je demande si je peux ajouter du ketchup.
Les infos c’est déprimant.
Demain
J’ai oublié de redire à Imane que Sarah et Eli viennent demain après-midi pour l’exposé. On fait ça ici pour qu’elle voie que je travaille. On est mieux chez Eli mais les parents d’Eli savent déjà qu’il travaille. J’écris à Imane pour lui dire. Réponse : “super. Mais là faut aller dormir !”. Je fais le tour de l’appartement, je range un peu. Chez Fadia, c’est éteint. Faut que je tombe amoureux d’une autre fille. Faut que je reprenne la musique pour moi. Faut aussi que je travaille pour qu’Imane soit rassurée. J’ai fini mon tour. Je ferme à clé. J’éteins la lumière. Direction : chambre. Objectif : dormir.

Sarah et Samy ont éteint leur téléphone. J’ai la voix d’Imane dans la tête. Dormir. Faut dormir. Demain, école. J’ai pas envie. Le soir, je cherche la sortie. La vie d’après. J’espère qu’il y aura encore Sarah et Eli. Je sais qu’il y aura Imane. J’espère qu’il n’y aura plus école.
Anis ne veut pas dormir. Mon père dit que j’ai joué avec lui trop tard, qu’il a manqué le train du sommeil. Non mais n’importe quoi. Je propose de lui raconter une histoire mais mon père veut s’en occuper. Il râle. Il s’énerve tout seul. Mehdi me demande comment s’est passé le foot et ma journée. Je lui raconte l’acrosport. Farhed sort la tête de son livre pour écouter. J’imite Maxence qui me kiffe. Mes frères me demandent comment vont Samy et Imane. Ils aiment bien Imane même si elle est trop vieille pour eux. Ils disent que c’est une fille qui a une grande force. C’est vrai. Je dis que tout le monde va bien. Samy va essayer de travailler plus pour qu’Imane s’inquiète moins. Et Eli ? Maintenant, presque tout le monde le respecte. Mes frères racontent le lycée. C’est nouveau pour Farhed, c’est la dernière année pour Mehdi. Ils ont pas de copine, soi-disant. Je leur dis qu’ils ont des copains alors. Ils veulent savoir moi : j’ai un copain, j’ai une copine ? Moi j’ai pas le temps. Ils se foutent de ma gueule. Ils ont jamais vu quelqu’un avec autant de temps que moi. Pour eux, si je fais autant de foot c’est parce que j’ai trop de temps. Faut pas oublier les potes et l’amour. Je fais ce que je veux surtout. Ils rigolent comme des cons. Mon père gueule depuis la chambre d’Anis. Faut se taire. Faut surtout se détendre, ouais. Fahred allume la play.

La vérité j’ai pas de devoirs. Et le livre sur Megan Rapinoe ? Fini, facile. Ils veulent me faire jurer. Je les déboîte sur FIFA. Mon père nous rejoint. Il veut que j’aille dormir, il est tard, mais d’abord il veut essayer de me battre sur FIFA. Pour lui laisser une chance je prends Saint-Etienne. 4 - 0. Presque il m’engueule. Contrarié : allez, dodo, il est tard. Un bisou quand même, avant d’aller dormir.

J’ai dessiné une chemise qui irait super bien à Hunter Schafer. La chemise plaît à ma mère, je la préviens : c’est pas pour elle. Elle veut savoir si j’ai réfléchi à mon avenir. Je lui dis que justement, là, je suis en train de me préparer pour le futur : quand j’aurai fini ma collection, j’irai dans le New Jersey chez Hunter et elle sélectionnera ses tenues préférées parmi mes créations. Ma mère ferme mes volets. Je dois éteindre la lumière et aller me coucher. J’embrasse mon père puis ma mère.
...
Dans le noir, je repense à la chemise. Elle gagnerait peut-être à être plus ample. Je rallume la lumière. J’estime. Les pour, les contre. Je retourne voir une photo de Hunter dont je me sers pour mes créations. Je crois que la chemise est bien comme ça. C’est à ma mère que ça irait bien une chemise ample. Elle est très mince, très grande. Il lui faudrait quelque chose de large et de très découpé. Un truc un peu bizarre. Mon père ouvre la porte de ma chambre. Ca, ce n’est pas possible ! Il faut que je dorme. Il est une heure du matin ! Il chuchote mais il crie. C’est pour maman. Il s’en fout. Il prend tout : mes dessins, mes crayons. Il fait ça très calmement. Il faut dormir la nuit. Il faut dormir la nuit ! Demain je n’ai que quatre heures de cours et je vais m’ennuyer. Je n’ai pas besoin de beaucoup dormir le mardi. Il part avec les deux chemises puis il revient pour dire : bonne nuit, à demain, dors bien, à demain Eli.
Remerciements
Merci à nos élèves, sans eux, cette histoire n’aurait pas vu le jour.
Merci à nos proches pour leur soutien et leurs premiers retours qui nous ont permis d’affiner le récit de cette journée dans la vie de Samy, Sarah et Eli.
Merci à celles et ceux qui ont accepté de poser pour donner forme à nos personnages. Un merci tout spécial à Liza.
Merci à Roxane et à son super scanner EPSON XP-6100 Series !
Un merci particulier à Marine d’avoir accueilli ces textes et ces dessins à la recherche d’un support pour être partagés et de nous avoir accompagnées dans ces réflexions graphiques et dramaturgiques.
Un immense merci à Kévin d’avoir rendu possible, après ces réflexions, le partage et la lisibilité de Matin tôt Nuit tard sur l’internet !
Merci à vous, lecteurs et lectrices, d’avoir tendu l’oreille et ouvert les yeux à la rencontre de Samy, de Sarah et d’Eli.
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